On est bien d’accord, Takavoir est d’abord un festival pour créer et s’amuser. Mais s’il peut permettre d’ouvrir un débat sur l’impact des nouveaux minis outils de captation sur la société, pourquoi pas ? Certains problèmes ont déjà surgi dans les établissements scolaires notamment… Petite mise au point avec un juriste de la région Poitou-Charentes. Attention !

Lee Takhedmit est avocat à Poitiers depuis janvier 2006. Il intervient dans les collèges et les lycées de la région. La rencontre est instructive. Prenez-en de la graine sans vous formaliser. Aujourd’hui c’est culture G pour tout le monde, on rigolera demain !

« Les jeunes ne se rendent pas toujours compte… »

Comment abordez-vous la question du droit à l’image auprès des jeunes ?
J’ai fait plusieurs interventions dans les lycées, à la demande des services de la Région, sur le thème du droit à l’image. J’essaie d’aborder les choses de la manière suivante : on vit dans un état de droit, entourés de très nombreuses normes juridiques assez méconnues la plupart du temps. Je présente donc mon intervention comme une sorte de proposition de culture générale juridique. Le but est de faire prendre conscience aux jeunes des difficultés que peuvent poser des comportement quotidiens qui leur paraissent anodins, mais dont les répercussions sont parfois excessives.

Y a t il eu des problèmes concrets dans les établissements scolaires de la région ?

En effet, il semble que se soient posées un certain nombre de difficultés dans des lycées, liées à l’utilisation de téléphone portable, d’internet (via les blogs ou autres chats, forums, etc.).

Pouvez-vous décrire ces problèmes, à titre d’exemple ?
De mémoire, une vidéo intime représentant une élève avait circulé de portables en portables, avec les conséquences qu’on imagine.
Il y a eu des difficultés avec des élèves alcoolisés pris en photo également, des problèmes de diffamation de professeurs, de représentation de leur image sans consentement, d’injures à caractère raciste, homophobe, antisémite, etc.
En réalité, le développement de l’accès à l’image par le numérique semble avoir redéfini pour partie les modes de communication entre les jeunes et leur comportement. C’est donc dans une démarche éducative que la Région m’a demandé d’intervenir, pour faire prendre conscience aux jeunes qu’on ne doit pas faire n’importe quoi avec l’image d’autrui..

Pensez-vous que des enseignements peuvent permettre d’endiguer ce type de problèmes ?
Bien sûr. En réalité, un certain nombre de comportements paraissent anodins à beaucoup de jeunes. Un proviseur m’expliquait avoir été sidéré par un élève qui avait diffusé une vidéo intime faites avec une camarade du lycée et qui ne voyait pas le problème. Il était parfaitement habitué à voir circuler ce genre de vidéos sur internet et cela lui semblait conforme à la « normalité ».

Globalement, j’évoque les infractions (qui sont des fautes civiles et des infractions pénales) de diffamation et d’injures, puisque le développement des blogs notamment favorise l’émergence de ce type d’infractions, les jeunes ne percevant pas toujours bien la limite à ne pas franchir.

Difficile d’estimer les conséquences de ses actes…
L’intérêt de nos interventions est d’informer les lycéens sur les conséquences potentielles de tel ou tel comportement, sur le plan scolaire, social professionnel, ou même financier. Il est intéressant de voir que les jeunes sont très étonnés quand on leur explique les conséquences que peut avoir la diffusion d’une photo d’eux en état d’ébriété sur internet par exemple, ou la diffusion de photos ou vidéos intimes sur internet (impossibilité d’endiguer la diffusion, conséquences psychologiques graves avec parfois tentatives de suicide, conséquences pécuniaires [dommages et intérêts très lourds parfois], etc.

Ils agissent par ignorance en fait
Ils sont très attentifs malgré tout, ce qui me laisse penser que le sujet les intéresse. En effet, c’est souvent par ignorance qu’ils agissent. La démarche est éducative et citoyenne. Je me plais à leur dire que l’intérêt de mon intervention est de contribuer modestement à les former comme citoyen, et qu’un citoyen, dans un état de droit, doit connaître les règles et être conscient d’un certain nombre de choses, notamment le droit au respect pour chacun, etc. Bien entendu, écrit, cela peut sembler rasoir ou pompeux, mais j’ai trouvé qu’ils étaient assez réceptifs.

Pensez-vous qu’un festival comme Takavoir soit le lieu pour se poser ce genre de questions ?
Ces questions reflètent le quotidien, il est intéressant de les poser, partout où cela peut sembler à-propos.

Avez-vous dû intervenir dans le cadre d’autres manifestations de ce genre ?
L’une des interventions en lycée s’est faite devant un public de parents uniquement. Très intéressant ; où l’on peut voir que les questions qui se posent pour les enfants, qui baignent dans les nouvelles technologies depuis toujours, se posent également pour les parents, parfois débordées par ces technologies qu’ils ne maîtrisent pas.

Avez-vous remarqué une recrudescence des affaires liées au non respect de ce droit à l’image ?
Pas exactement. Il y a bien eu quelques affaires de « happy slapping », c’est-à-dire de violences (bagarres ou expéditions punitives) filmées, quelques affaires de diffusion d’image pornos ou pédo porno et les quelques difficultés évoquées précédemment dans les lycées. Souvent, par manque de connaissances ou pour tout un tas d’autres raisons, ce type « d’affaires » ne s’expose pas sur la place publique.

Globalement qu’est-ce que le droit à l’image ?
C’est à mon sens une notion qui recouvre plusieurs dimensions. Mes interventions auprès des scolaires portent sur le droit à l’image et le droit au respect de la vie privée. Je traite de la question selon deux axiomes : l’aspect civil et l’aspect pénal. Nous définissons le droit à l’image, qui a trait à la captation d’une image, et le droit au respect de la vie privée, qui a trait aux aspects « immatériels », par opposition à l’image qui est fixée « physiquement ». J’évoque bien sûr la notion de consentement, puisqu’elle est au cœur du débat, l’image et la vie privée d’autrui sont protégées, sauf consentement de celui-ci à leur divulgation.

Etes-vous spécialisé dans le droit à l’image ?
Non, cette spécialisation n’existe pas à ce jour. C’est un sujet qui m’intéresse depuis mes études universitaires, car c’est une matière technique, qui demande de la rigueur. J’ai traité un certain nombre de dossiers pénaux et civils ayant trait au droit à l’image et au droit de la presse, qui ont renforcé mon attrait pour la matière. Cependant, pour s’en dire spécialiste, il faudrait que j’aie traité beaucoup plus de dossiers, étant entendu que de telles affaires ne sont heureusement pas légion sur Poitiers.

Propos recueillis par Karl Duquesnoy